Maître de l’ouvrage : Département fédéral de la défense, de la protection de la population et des sports (DDPS)
Lieu : Lucerne
Avec un concept paysager orienté sur l’ouverture, ce projet de mémorial s’insère sur le site en se greffant sur l’axe est-ouest existant dessiné par les bâtiments et leurs aménagements et en traçant un axe perpendiculaire en direction du paysage au sud. Le point de pivot se trouve dans la partie du parc pour provoquer une ouverture : le rapprochement du monde militaire à l’encontre de la société civile. Des murs, dont la géométrie simple oriente le visiteur dans les sens de ces axes, sont érigés de manière discontinue et abritent un espace intime à ciel ouvert. Dans cet espace central, mais discrètement protégé par ces modestes constructions, se trouve le monument avec une généreuse esplanade capable d’accueillir une foule. Le bosquet existant est intégré en continuité de cet espace, lui offrant la solennité des arbres. Plus loin à l’est, en position discrète, un autre mur se courbe pour former la chambre pour l’aumônier.
Ces murs à la simple apparence ont plusieurs rôles : ce sont des écrans, des toiles où se projettent ombres et lumières, ce sont un écrin qui protège de l’extérieur et retienne le son des discours et de la musique, qui définit et cadre le mémorial. L’érection d’un mur n’est pas une chose anodine et consiste en un acte fondateur : cela demande du travail, de la coordination, de l’esprit d’équipe, de la rigueur et de la précision, le mur dessine l’horizon et définit les limites, il donne la direction et la protection. Le schéma compositif se veut ouvert, à la vue de tous, au moment de la remémoration et de la douleur, pas de pièces fermées, pas de secret.
Le monument se trouve au point culminant du projet, près du centre de la croix formée par les deux axes.
Il est composé d’éléments couchés en verre de 45x90x270 cm, qui ensemble forment un carré. Ils sont posés sur un socle de bronze, et par groupe de 3 ils forment 9 carrés sur une grille dans les deux directions. Ils composent un système modulaire qu’on peut imaginer s’étendre dans l’environnement, se reproduire en géométrie fractale. La somme des éléments en verre forme un tout qui n’est pas sans rappeler la surface de nos lacs. Ces 26 éléments (chiffre évoquant les cantons suisses) sont transparents, presque immatériels, incarnant la pureté de l’âme. Au centre, un des modules est retiré, laissant s’échapper dans la dimension verticale une flamme de lumière.
Tout près, un module en bronze git solitaire. Il engage à la réflexion, au questionnement sur sa présence, sur son rapport avec le vide au centre ; il génère l’attente, la suspension et par sa simplicité révèle l’absence (d’identité et du corps s’agissant d’un cénotaphe). A un niveau plus pratique cette base offre un support pour les fleurs et un point de repère pour les cérémonies.
Les dimensions du module sont les mêmes que pour les éléments qui composent les murs, mais cette fois-ci ils sont en béton clair (rappelant l’architecture de la caserne) et empilés sur le chant. Ces modules de béton tapissent également la place minérale qui entoure le monument. Les deux éléments, en béton et en verre, s’ils partagent exactement les dimensions, contrastent fortement par leur substance et leur position : l’un en action, dans les rangs d’une construction, l’autre figé à participer à un ensemble idéal (symboliquement liés aux stades de vie et de mort). On relèvera que les deux matières différentes proviennent de la même source, le sable une fois dans sa forme modeste et brute, une fois dans sa forme transcendée et purifiée. Avec le bronze du socle, en référence aux couleurs locales (Lucerne compte plusieurs exemples d’utilisation de cette matière qui a la qualité de s’accorder avec ses pierres), les trois matériaux choisis sont durables et pérennes, donnant au mémorial la chance de durer à travers plusieurs générations.
A travers ce choix strict de n’avoir qu’un module de construction, s’exprime un message important : nous sommes tous égaux face à la mort. L’alignement ordonné de ces modules pour former des ensembles en exprime un deuxième : un pour tous et tous pour un. Le tout renvoie à l’union et à l’unité.
Les visiteurs qui s’approchent du monument ne sont pas face à un obstacle ; la hauteur de celui-ci (67.5 cm) est celle d’une table. Il permet de voir les personnes en face, le paysage et l’horizon. Il laisse un espace entre les gens dont les regards convergent au centre. Comme une table ronde, il invite à la communion, à l’échange, au partage, au rapprochement et rappelle que la paix est une construction. Une fois proche du monument, on peut y voir sur les côtés des inscriptions dans les quatre langues nationales gravées dans le verre ; le dialogue s’active.
La flamme (virtuelle) qui sort du centre du monument est faite de lumière projetée à la verticale, dans l’axe qui relie la terre au ciel. Elle se dévoile surtout quand les conditions météorologiques le permettent, ou artificiellement quand un événement le demande. Brouillard et brume se colorisent avec des variations provoquées par les passants : des capteurs sur les murs interagissent avec l’intensité et les couleurs de la lumière, rendant ainsi cette flamme participative. Les rayons passent à travers les modules de verre du monument, révélant ainsi les inscriptions sur le côté et projetant des réverbérations de lumière sur les murs.